Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Béatrice et j’ai 52 ans. J’ai intégré un nouveau poste depuis janvier 2023 et j’en suis très contente. Je travaille dans le milieu médical. Auparavant, j’ai eu un long parcours dans le marketing opérationnel. En 2018, j’ai repris mes études pour choisir une voie professionnelle qui avait plus de sens pour moi.
Atteinte d’une maladie rénale chronique, j’ai parfois dû la cacher afin de pouvoir être considérée “normalement” au sein de l’entreprise.
Peux-tu nous parler de ton insuffisance rénale ? (Diagnostic, symptômes, prise en charge, traitements, opérations, etc)
J’ai été diagnostiquée en 2002 à la suite d’une montée de tension artérielle. On m’a décelé des problèmes rénaux, atrophie des reins certainement due à une hypertension non contrôlée et à une glomérulonéphrite. Je n’avais eu aucun symptôme, aucune douleur. J’ai appris par la suite que l’hypertension et le diabète sont souvent à l’origine de la maladie rénale et ce dans 50% des cas.
J’ai ensuite été prise en charge pendant 10 ans par un service de néphrologie qui contrôlait régulièrement l’évolution de ma fonction rénale et me prescrivait des médicaments et un suivi nutritionnel adapté.
En 2012, mes reins ne fonctionnaient presque plus et je suis entrée en dialyse. Ce traitement nécessite d’aller 3 fois par semaine se faire filtrer le sang 3 ou 4h de suite par l’intermédiaire d’une machine de dialyse et d’un rein artificiel qui remplace le rôle des reins défaillants. La dialyse en centre 3x4 heures m’a fatiguée et beaucoup déprimée.
Au bout de 4 ans et après quelques recherches j’ai découvert qu’on pouvait faire de l’hémodialyse chez soi. J’ai suivi une formation de 6 semaines et j’ai plus faire de l’hémodialyse à domicile. En 2018, j’ai eu la chance d’être greffée et aujourd’hui je prends un traitement à vie (8 cachets matin et soir) et ma vie est redevenue presque normale car un suivi médical régulier (tous les 3 mois) me permet d’être sûre que mon rein greffé fonctionne correctement. J’ai repris très rapidement mes activités car j’étais en formation, c’était plus doux que de devoir travailler tout de suite après.
En as-tu parlé à ta hiérarchie ? À quel moment ? De quelle manière ?
Parfois oui, parfois non. Il n’y a pas de moment idéal, on le fait quand on est prêt et ce n’est pas obligé. La situation médicale d’une personne est de l’ordre du secret médical. Le médecin du travail par exemple ne doit en aucun cas le révéler à l’employeur, sauf si le salarié l’autorise.
Chaque structure professionnelle est différente. On m’a souvent prise pour une personne nonchalante alors que je traversais de grosses difficultés de santé. J’ai juste fait le choix à un moment donné de considérer ma santé en priorité.
Quand je l’ai dit, j’ai parfois eu affaire à des services RH et des responsables sans aucune compassion ou qui ne comprenaient pas mes difficultés. C’est une maladie invisible et parfois on est épuisé et le jour d’après en super forme. Une fois, j’ai fait passer une vidéo sur dialyse à domicile à mon supérieur hiérarchique pour lui permettre de comprendre ce que je traversais.
Quand il s’agit de révéler sa maladie ou pas, il faut essayer de jauger les personnes que l’on a en face de soi. Et surtout construire une relation de respect mutuel. Si on pense que révéler une vulnérabilité va rendre les choses plus difficiles, autant ne pas le faire. Aménager son poste via la médecine du travail est la meilleure solution.
Quels impacts la maladie a-t-elle eu sur ta vie professionnelle ?
Ma vie professionnelle a totalement changé à cause de ma maladie. Rien n’était comme avant à cause de ce traitement lourd et long surtout quand j’étais en dialyse en centre 3 fois 4 heures. En dialyse en centre j’étais épuisée 1 jour sur 2.
Ensuite en dialyse à domicile, c’était beaucoup mieux. Je faisais mon traitement (6 jours sur 7 pendant 2 heures) au moment où je le voulais et surtout le soir après mes activités sociales et sportives. J’ai quand même réussi à travailler à 100% car j’effectuais un travail sédentaire de cadre mais ce rythme travail + soin était épuisant.
Je ne pouvais plus prétendre à évoluer dans ma carrière à cause de ma santé. En général. Il fallait être mobile et je ne pouvais pas trop m’éloigner de la France à cause de mon traitement.
J’ai bien postulé à de nouveaux postes avec succès et on m'a proposé des voyages en Angleterre ou en Espagne. Alors de peur de ne pas être à la hauteur et que ma maladie soit un frein, j’ai mis une croix sur mon évolution professionnelle. J’ai aussi préféré changer de voie car mon expérience de patiente m’a fait revoir mes priorités. Mon travail n'avait plus la même saveur, plus le même sens, j’ai eu envie de changer mes critères : un travail qui a plus de sens, même si je gagne moins. Je me suis même lancé dans l’entreprenariat.
Des solutions ont-elles été proposées/mises en place ? (Aménagement temps de travail, etc)
En premier lieu je conseillerais de faire une reconnaissance de travailleur handicapé. Cela permet des aménagements de postes et d’obtenir un statut de travailleur handicapé : une forme de reconnaissance de la maladie qui en fait une réalité pour les employeurs. Ceux-ci bénéficient d’ailleurs de subventions quand ils embauchent du personnel reconnu RQTH.
Grâce à la médecine du travail, j’ai pu bénéficier de 2 jours de télétravail. Ça m'a permis de mieux m’organiser entre temps de travail et temps de soin. Je pouvais me dialyser tranquillement derrière mon ordinateur à la maison et me reposer parfois en journée. Quand je revenais au bureau, j’avais la pêche et tout se passait mieux.
Est-ce que les éventuels impacts sur ton travail ont été une source d’inquiétude pour toi ? (Incompréhension des collègues ou du patron, peur d’être mis à la porte ou autre)
Oui j’étais très inquiète car je devais absolument travailler à plein temps puisque j’élevais ma fille seule sans aide financière du papa. Travailler est pour moi un équilibre social et financier. J’avais peur de perdre mon emploi et de faire subir à ma fille à la fois ma maladie et une déroute financière.
Les solutions proposées de perte de salaire quand on a un traitement lourd ne compensent pas vraiment un salaire de cadre. En réalité, quand on a une maladie chronique qui dure toute la vie, la plupart du temps il y a souvent diminution du temps de travail si ce n’est pas la perte de son emploi. Il vaut mieux être bien entouré et envisager un retour à l’emploi pour ne pas subir la maladie. Perdre son travail et subir sa maladie, c'est une double peine.
Quels conseils donnerais-tu à une autre personne qui vient d’obtenir son diagnostic ?
Je dirais qu’il ne faut pas perdre ce lien social qu’est le travail. Quitte à revoir ses prétentions salariales, c’est plus intéressant d’avoir un emploi plus modeste mais dans lequel on est sûr d’être entouré de personnes bienveillantes qui tiendront compte de nos vulnérabilités. Ceci est assez rare mais avec les nombreuses initiatives actuelles en termes de RSE, on peut imaginer qu’on va pouvoir percevoir les personnes vulnérables à cause d’un handicap ou d’une maladie différemment à l’avenir.
Je conseillerais aussi de ne pas hésiter à se faire accompagner par un avocat en cas de discrimination liée à une maladie ou à une vulnérabilité. Certains avocats travaillent en probono et se paient sur les dédommagements obtenus. Les difficultés au travail quand on a une insuffisance rénale, ça arrive encore beaucoup trop aujourd’hui. Il y a aussi une hotline sur le site de l’association France Asso santé qui apporte de l’aide gratuite aux personnes rencontrant des difficultés au sein de leur travail.
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